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ALICE

Dossier médical

De 5 à 15 ans cystites à répétition, algies abdomino-pelviennes inexpliquées. A 20 ans début d'imprégnation alcoolique. A 23 et 26 ans naissance d'un garçon. Arrêt d'addiction à l'alcool à 44 ans. A 57 ans apparition de douleurs dorsales sur toute la colonne, persistent depuis. A 59 ans diagnostic de fibromyalgie. Trois tentatives de suicide. A 68 ans cancer du rein (néphrectomie chimiothérapie). A 74 ans embolie pulmonaire.

Sa vie

« Mon père a été prisonnier pendant la guerre, il en a bavé. Après la guerre il a voulu quitter la France et s'est fait muter à l'étranger où je suis née. J'ai une sœur de 7 ans mon aînée et un frère de 7 ans de moins que moi. Je suis née avec un métier en main : femme de ménage. J'ai été la Cendrillon de la maison, j'assurais le ménage, la vaisselle, le jardin. J'ai rapidement compris que si je voulais vivre il faudrait que je me batte. J'ai été la bête noire de ma mère, elle n'hésitait pas à utiliser la laisse du chien pour me frapper, c'était le quotidien. Ma mère était méchante, elle ne m'a donné aucune tendresse, elle ne m'embrassait jamais, elle ne m'a jamais prise sur ses genoux. Elle ne m'aimait pas. Elle m'a dit : 'Toi tu es née car il fallait que j'aie un bébé pour me nettoyer,' On lui avait dit qu'une grossesse améliorerait les problèmes gynécologiques qu'elle avait. Après le 'nettoyage' j'aurais dû disparaître. A la naissance j'avais une tumeur à l'intérieur de la paupière gauche et elle a dû rentrer en France pour me faire opérer à 9 mois. Le chirurgien a conseillé de rester en France pour la surveillance, j'ai perdu une grande partie de ma vision de ce côté. Elle m'a dit plus tard qu'elle avait donc dû rentrer à cause de moi trois ans avant mon père, elle a rajouté : 'Tu gâches toujours tout.' Avec ma mère c'était un combat permanent, de même qu'avec ma sœur, qui, elle, avait été désirée. Pendant que ma sœur apprenait ses leçons, je devais faire le nécessaire à la maison, m'occuper de la basse-cour, aller chercher l'herbe à lapins dans les champs et seulement après je pouvais faire mes leçons. Au goûter, ma sœur avait pain, beurre, chocolat ; pour moi, c'était une purée à l'allure de vomi d'ivrogne comme une gamelle pour chien que ma mère faisait avec les fruits du jardin et souvent du cassis qui donnait la couleur. J'en mangeais matin, midi et soir et quand c'était moisi, ce qui arrivait puisqu'elle le faisait en grande quantité, je devais le finir quand même.

Mon père m'a donné de la tendresse, il était gentil avec moi mais il disait toujours oui à ma mère. Il faisait les quarts, était souvent absent, en déplacement. Il lui était interdit d'aller boire un coup avec ses copains. Quand il arrivait il devait se mettre au travail pour faire notre maison. Elle surveillait l'heure de sa sortie du travail et son arrivée à la maison, il laissait faire. Il s'est quand même battu pour que j'aie le droit d'aller à la plage qui était à 300mètres de la maison et il m'a appris à nager. C'est le bon souvenir de ma vie, un trésor qui n'a pas de prix, notre jardin secret à tous les deux. Quand mon père est mort, ma mère ne m'a pas prévenue de son décès, je l'ai appris 3 mois plus tard par le notaire. Quand je vais mettre des fleurs sur sa tombe, le lendemain elles n'y sont plus, je pense que ma mère les enlève.

Quand j'avais 5 ans, un ami de la famille qu'on appelait tonton m'a fait subir des attouchements. Je l'ai dit à ma mère qui ne m'a pas crue, m'a giflée. Ma mère ne m'a pas crue alors que je sais maintenant qu'elle savait que cet homme faisait la traite des blanches ! Il est d'ailleurs allé en prison pour cette raison. Elle m'a interdit d'en parler à mon père, je me suis tue, mon père ne l'a jamais su, j'ai voulu le protéger, car je pense qu'il m'aurait défendue et ma mère lui aurait fait du mal. J'en parle ici pour la première fois de ma vie, j'ai 66 ans. Cela a continué jusqu'à mes quinze ans, je me souviens que j'avais mal et que j'avais du sang. Il m'offrait des robes que je m'arrangeais toujours pour déchirer, ce qui me valait les réprimandes de ma mère. A 15 ans j'ai trouvé la force de me révolter, un jour je lui ai donné un coup de couteau, ce qui m'a valu une volée phénoménale de ma mère. J'avais aussi projeté d'entraîner mon abuseur sur la mer et de lui faire passer un mauvais quart d'heure car il ne savait pas nager. Moi je nageais bien, je faisais du secourisme en mer, j'avais des copains qui auraient pu me défendre. Le projet ne s'est pas réalisé et je pense que je l'aurais quand même repêché. Pendant tout ce temps je protégeais mon petit frère quand mon abuseur était là car j'avais peur pour lui, je me mettais en avant, ce qui me valait des réflexions de ma mère. Un curé aussi a essayé de me toucher, je savais qu'il avait déjà touché certaines petites filles. Un jour qu'il était à la plage avec des filles de mon âge, les jambes dans l'eau, j'ai plongé, l'ai saisi par les chevilles, il est tombé les fesses dans l'eau, sa soutane trempée et moi je suis ressortie de l'eau beaucoup plus loin. Cela a été pour moi une forme de vengeance. Pendant une partie de mon enfance j'ai eu des cystites, des démangeaisons vulvaires, des pertes et j'avais mal au ventre. Ma mère me répétait : 'Tu ne vas pas te plaindre !' Une fois ma mère m'a emmenée voir le médecin et j'ai dit au médecin : 'Un monsieur met ses doigts dans ma fesse, mais il ne faut pas le dire à ma maman qui me battra.' Je n'en ai jamais entendu parler ! Ces problèmes médicaux se sont arrêtés à 15 ans au moment où les abus ont cessé. Toute ma jeunesse, pour me protéger, je mettais tous les jours 2 slips, un collant, un maillot de bain. Mon père m'appelait caleçon de zinc. Cette manie a duré jusqu'à mon mariage.

Quand j'avais 14 ans, mon petit frère qui avait 7 ans est mort d'un accident. Devant son lit de mort ma mère m'a dit : 'J'aurais préféré que ce soit toi.'

Je me suis mariée à 21 ans pour partir de cette prison. J'ai cru que c'était un mariage d'amour, mais mon mari était un faible, un alcoolique, très influençable par sa mère et sa famille, une famille d'alcooliques et de pourris. Mon premier rapport sexuel a été une catastrophe parce que j'avais peur, mon corps n'était pas d'accord. J'ai eu mal au ventre toute la journée qui a suivi. A chaque fois que j'avais un rapport et je n'en ai eu qu'avec mon mari, je me raidissais, j'étais tendue comme une arbalète, c'était un recul et souvent j'avais mal au ventre. Les rapports ont toujours été vite faits, sans tendresse, alors que je rêvais de rester des heures blottie au creux de son épaule, je rêvais de cette tendresse que je n'ai jamais eue. Je voulais un enfant pour lui donner tout ce que je n'avais pas eu, pour le rendre heureux, le contraire de moi. Avec mes deux enfants cela s'est bien passé tant qu'ils étaient petits, puis ils se sont éloignés, à cause de ma belle-mère et de mon mari qui lui était soumis. Ma belle-mère me dénigrait sans cesse, les montait contre moi, puis, pour me faire du mal, elle me disait que mon mari faisait la java avec les femmes pendant que moi je gardais les enfants. Elle voulait m'éjecter de la famille et mon mari laissait sa mère me maltraiter. Sur son lit de mort elle m'a demandé pardon des malheurs qu'elle m'avait infligés.

Il y a eu de la violence à la maison, une fois mon mari a plaqué le lit au mur avec moi dedans la tête en bas, je suis allée plusieurs fois à l'hôpital à cause des violences, une fois pour des côtes fracturées. Puis j'ai également été hospitalisée plusieurs fois pour tentative de suicide. J'ai essayé d'arrêter de boire plusieurs fois et j'ai réussi à 44 ans, grâce à la Croix d'or, Alcool Assistance ; je n'ai pas bu une goutte d'alcool depuis. Je milite beaucoup dans cette association où je me suis investie. Mon mari a fait une grave dépression et a été mis en invalidité. Il est mort 9 ans plus tard à 58 ans d'une encéphalopathie alcoolique. Lui aussi avait eu une enfance difficile et avait été maltraité.

Mes 2 fils sont alcooliques. Je ne vois plus mon fils aîné qui a 2 enfants, je n'ai pas été prévenue de leur naissance. Mon second fils s'est pendu à 28 ans, j'en avais 55, c'est moi qui l'ai trouvé au bout de sa corde, cette image me hante. Il avait 2 enfants de 3 et 1 an, je ne vois plus les enfants depuis. Perdre un enfant c'est le plus grand malheur qui puisse arriver. La mort de mon fils s'est manifestée dans mon corps, j'ai comme revécu ma grossesse, mes règles se sont arrêtées net, j'ai eu le ventre tendu, des nausées, j'ai eu une montée de lait et j'ai perdu du lait à mouiller mon soutien-gorge, pendant 9 mois. Cette mort a fait remonter les choses difficiles de ma vie que j'avais voulu occulter, tous les tiroirs de ma vie se sont rouverts et les images difficiles me reviennent presque tous les jours.

J'ai commencé à avoir mal dans mon corps vers 57 ans puis les douleurs se sont diffusées de la pointe des cheveux à la plante des pieds, surtout le long de la colonne, dans le cou, la tête comme si elle était une cocotte-minute. On a fait le diagnostic de fibromyalgie, je prends des anti-inflammatoires, des anxiolytiques, sans succès. Je suis allée au centre antidouleur, ils m'ont seulement proposé des antidépresseurs que je n'ai pas voulu prendre. Je fais des séances de kinésithérapie, j'en ai fait beaucoup et toujours sans succès. Ces douleurs me clouent au lit 4 ou 5 jours chaque mois depuis 7 ans. Je gère moi-même, comme j'ai toujours fait, je prends le moins possible de médicaments. »

Sa réflexion

« J'ai compris toute petite que je devrais me battre si je voulais survivre. Ma force c'est le vouloir vivre de mon enfance. On m'avait donné la vie, je ne vois pas pourquoi je ne la vivrais pas. Il a fallu que je me débrouille toute seule, que je me batte intelligemment pour pouvoir m'en sortir. Quand j'ai eu mon diagnostic de cancer du rein, j'ai dit à mon médecin traitant : ce cancer je n'en veux pas, je ne veux pas l'élever celui-là. Dix jours plus tard le chirurgien m'enlevait le rein.

Ce qui m'a donné la force de survivre c'est ma volonté de montrer à ma mère de quoi j'étais capable, de lui montrer qu'elle ne m'aurait pas. Maintenant je ne lâche plus jamais le morceau. Je me suis beaucoup informée, je suis curieuse, j'ai beaucoup lu, je me suis investie pour aider les autres dans l'association de la Croix d'or. Je fais le contraire de ce que l'on m'a fait. J'ai compris toute seule, lors des attouchements, que c'était leur faute et pas la mienne, je ne me suis pas sentie coupable.

Je n'avais jamais discuté comme cela, comme on vient de faire, je vous remercie. Cela fait du bien. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.