SULTANE
Endométriose sévère suspectée à 27 ans confirmée à 33 ans, anorexie mentale à 20 ans, pyélonéphrite à 18 et 19 ans.
Son histoire
« Je suis l'aînée d'une fratrie de 3 enfants. Vers l'âge de 13 ans j'ai senti que quelque chose ne tournait pas rond chez ma maman, je pense que je le pressentais déjà enfant. Elle ne nous donnait aucune tendresse, ne nous prenait jamais dans ses bras, il y avait zéro câlin, zéro bisou, aucun contact physique, elle effleurait juste la peau pour dire bonjour. Sans savoir ce qu'il y avait j'avais la boule au ventre, la boule de l'anxiété, de l'angoisse. Vers 14 ans, j'ai posé la question à mon père qui m'a appris que ma mère avait subi un inceste entre 6 et 18 ans. Elle était l'aînée d'une fratrie de 5 enfants qui ont tous été abusés par le père qui a fini par se pendre. Mon père l'avait appris de ses belles sœurs car ma mère n'en a jamais parlé, elle était dans le déni complet, le sexe était tabou à la maison. Même si cette nouvelle ne m'a pas surprise outre mesure, elle m'a énormément bouleversée. J'ai fait des cauchemars et toujours le même : je me faisais violer. Lors d'un anniversaire de ma mère j'ai voulu savoir de sa bouche ; quand elle m'a vu arriver avec mon bouquet de fleurs, elle pleurait, comme si elle avait su que j'aborderais le sujet. Quand j'ai posé les questions, elle est devenue livide, a demandé agressivement qui m'avait parlé de cela, elle a parlé de sa mère qui subissait les violences de son mari, mais je n'ai pas eu de réponse à son sujet, j'étais face à un mur infranchissable. A la suite, ma mère a eu un arrêt de travail d'une semaine. Après cet épisode, ma mère a téléphoné à ses sœurs ; l'une d'elle m'a appelée en me reprochant d'interroger ma mère, l'autre a bien voulu répondre à mes questions et m'a confirmé les faits. Je me suis sentie coupable d'avoir remué tout cela sans avoir obtenu l'effet escompté.
Á partir du moment où je l'ai su, j'y pensais sans cesse. J'avais le désir de soigner ma mère, je voulais la guérir, c'est probablement pour cela que j'ai choisi le métier de soignante. Depuis cet âge de 14 ans, j'ai des douleurs dans le ventre ; en fait, ce ne sont pas de vraies douleurs, c'est une boule d'angoisse, tout est logé là au niveau du ventre. Ma mère m'a beaucoup construite avec la peur de l'homme, m'a beaucoup préparée dans cette optique : quand je sortais elle me disait « ne me ramène pas un gosse ». D'en reparler cela me remue dans mon corps, j'ai l'impression que le puzzle se fait, j'ai l'impression d'ouvrir les yeux, de comprendre qu'elle m'a formatée pour ne pas avoir d'enfant. Mon endométriose a répondu au désir de ma mère que je ne tombe pas enceinte, et j'ai toujours été une enfant très désireuse de suivre les consignes. Au début de ma relation avec mon mari, en plus de ma prise de pilule, il mettait un préservatif. De plus la sexualité est compliquée, peut-être comme celle de ma mère : je connais quelques bribes de la vie sexuelle de mes parents, je sais que mon père a beaucoup souffert de la difficulté sexuelle de ma mère, elle a eu de la chance d'avoir un mari qui l'aime fort. Déjà dans ma tête de petite fille, le sexe c'était mal, c'était honteux, cela me faisait peur. Nous avons attendu 9 mois mon mari et moi pour avoir un premier rapport, je n'étais pas prête avant. Lors de ce premier rapport, j'ai eu l'impression de faire quelque chose de pas bien et 15 jours plus tard j'ai fait une pyélonéphrite, je fais le lien entre les deux. Maintenant, dans les rapports j'ai une forme de retenue, je me freine, il y a de la honte, de la culpabilité pour moi à prendre du plaisir. C'est comme s'il y avait un nuage noir au-dessus de ma sexualité, parfois on peut rester 2 mois sans rapport.
De 20 à 31 ans, j'ai fait une anorexie, j'ai pesé 48kg pour 1,72m, j'étais nouée au niveau du plexus, je vomissais. J'ai fait une dépression sévère, eu des idées suicidaires, je ne dormais pas. J'ai dû prendre des antidépresseurs pendant une bonne année. J'ai des accès de colère, des pulsions de violence, parfois j'ai envie de tout casser, j'ai pu frapper mon mari. Cela fait des années que je me bats pour aller bien, j'ai l'impression de me battre contre mes angoisses, contre ce que je ressens. C'est comme si cela m'était arrivé à moi, j'ai l'impression d'avoir vécu ces choses. Si mon mari n'avait pas été présent je ne serais plus là, j'aurais mis fin à mes jours, mais son amour me porte. Je l'ai rencontré à 17 ans, il en avait 15. Nous avons décidé d'avoir un enfant qui ne vient pas. J'ai consulté une fois, je n'ai pas voulu faire l'IRM prescrite, j'avais peur de perdre le contrôle. Je l'ai faite 5 ans plus tard et quand le médecin m'a annoncé l'endométriose, j'ai été submergée, j'ai tout de suite fait le lien avec l'abus de ma mère, je le sais, j'en suis sûre au fond de moi. Cette endométriose c'est cette boule d'angoisse que j'ai là, c'est cette souffrance que je porte et qui m'empêche d'être maman, c'est quelque chose qui bloque. Cette endométriose n'est pas à moi, ce qui s'est placé ici dans mon ventre n'est pas à moi, c'est pour moi une conviction. La chirurgie proposée c'était un lâcher prise, une perte de contrôle, et j'ai réussi à l'accepter ; elle a enlevé un peu de cette douleur que je porte depuis si longtemps. Mes parents sont venus me voir à la clinique, cela m'a remplie, m'a fait du bien. Une FIV est prévue bientôt mais je sais que la grossesse peut venir spontanément. »
Sa réflexion
« Á ma naissance, la souffrance de ma mère a été tatouée sur moi, je n'ai pas subi moi-même l'inceste, mais c'est comme si je l'avais vécu moi-même, je le ressens comme cela. Je suis l'aînée, c'est moi qui porte ce fardeau, j'ai toujours eu l'impression de porter la souffrance, le mal-être, les angoisses de ma mère. Á cause de mon grand-père, ma mère ne m'a pas aimée, il m'a volé la mère que j'aurais dû avoir. S'il était encore vivant, je l'aurais tué, il est mort quand j'avais 4 ans. J'ai une colère contre lui à 10/10, et j'en ai aussi beaucoup voulu à ma mère de ne pas s'être libérée de cela pour pouvoir être une maman normale. Le lien maternel n'a jamais été créé, je ne l'ai pas connu, je ne sais pas ce qu'est une maman. Le modèle de femme que j'ai eu n'est pas terrible, ma mère n'est ni le modèle d'épouse ni le modèle de mère que j'aimerais être, ce n'est pas comme cela que j'avais rêvé l'amour d'une maman, je lui en veux du manque d'amour, car je n'ai manqué de rien sauf de cela.
J'ai peur d'être maman (pleurs), j'ai peur de ne pas être à la hauteur, je n'ai pas eu de modèle, je n'ai pas confiance en moi par rapport à cela, je n'ai pas confiance en ma féminité. J'ai peur d'être anxieuse, angoissée par rapport à la violence du monde. Quelque chose m'empêche d'être heureuse : c'est cette souffrance qui est toujours dans un coin de ma tête, qui est dégueulasse. Je me suis construite avec cela, je pense qu'intuitivement enfant je le savais. Quand vous m'avez expliqué votre thèse et proposé l'entretien j'ai pleuré et rien que d'en parler, cela m'émeut. »